L’interview de Jean-Pascal Labille, Secrétaire Général de Solidaris sur le juste prix des médicaments : “Depuis 2015, les dépenses de médicaments sont devenues incontrôlables”

07.12.2023

Monsieur Labille, pouvez-vous nous expliquer l’évolution de l’accessibilité financière des médicaments en Belgique ? Cela a-t-il un impact sur l’accès des patients aux médicaments ?

Jean-Pascal Labille, Secrétaire Général, Solidaris, Belgique: En Belgique, depuis 2015, avec l’arrivée des traitements contre l’hépatite C puis des nouveaux traitements contre le cancer, les dépenses pour les médicaments se sont emballées. Pour 2023 et 2024 on s’attend à des croissances de 7% par an, ce qui est totalement intenable. Pour contenir cette explosion liée aux prix toujours plus excessifs, il y a déjà aujourd’hui des limitations d’accès des patients aux nouveaux traitements. Les prix croissants exigés par les firmes vont malheureusement nous imposer de limiter encore plus l’accès, et même de refuser le remboursement pour nos patients, si on ne trouve pas une solution rapidement.

 

Quel est le rôle de Solidaris en matière d’accès aux médicaments ?

Jean-Pascal Labille : Solidaris, en tant que 2ème assureur santé national, joue à la fois un rôle important de co-gestionnaire du système solidaire d’assurance maladie universelle belge et un rôle de défenseur des intérêts de nos affiliés et de l’ensemble des patients.  Dans ce cadre, nous jouons un rôle clé dans la répartition du budget entre les secteurs de la santé, dont les médicaments, et dans la maîtrise des dépenses. Nous jouons également un rôle décisif dans la Commission de Remboursement des Médicaments qui formule les recommandations au ministre sur le remboursement des nouveaux médicaments, les patients auxquels ils doivent être destinés et leur prix.

 

Solidaris a joué un rôle de premier plan dans le développement du modèle de juste prix et du calculateur de l’AIM. M. Labille, pouvez-vous expliquer pourquoi votre organisation a développé ce projet ?

Jean-Pascal Labille : Nous sommes partis d’un constat simple : d’une part le système actuel ne défend pas les intérêts des patients mais bien celui de l’industrie pharmaceutique, et d’autre part les outils actuels – comme les contrats confidentiels négociés dans chaque pays – ne font que renforcer le pouvoir de cette industrie. Les négociations de prix sont devenues tellement complexes et opaques que plus personne ne sait ce qu’il paie et dans quel mesure son prix est correct.

Il fallait donc un changement radical et repartir d’un objectif évident pour nous, celui de l’intérêt général : la santé avant le profit. En tant que mutuelle progressiste, nous voulions ouvrir une voie plus juste qui assure à la fois la pérennité de notre système de santé et le bien-être de la population, sans freiner l’innovation utile. En proposant un modèle basé sur des critères objectifs qui reprennent pied avec la réalité, et transparents afin que tout le monde puisse comprendre et adhérer, nous voulons remettre de l’éthique et de la transparence dans la manière dont nous dépensons l’argent de nos systèmes de sécurité sociale solidaires.

À votre avis, les pays peuvent-ils parvenir seuls à des prix justes pour les médicaments ? Jusqu’où peuvent-ils aller et quel pourrait être le rôle de l’Union européenne à cet égard ?

Jean-Pascal Labille : Atteindre un juste prix de manière isolée est impossible en Belgique ou dans n’importe quel pays, nous le voyons clairement dans les négociations avec le pharma. Mais ensemble avec d’autres pays, on peut faire plier l’industrie. Il faudra nécessairement passer par un prix (éventuellement modulé par pays) fixé au niveau européen. Mais pour avant  cela et pour y arriver, il faut convaincre chaque pays de l’intérêt et de la possibilité d’obtenir un juste prix. C’est pourquoi en Belgique nous voulons sensibiliser les décideurs en les informant systématiquement du prix juste qu’ils pourraient payer pour chaque nouveau médicament en insérant dans la loi l’obligation de calculer le prix avec le modèle de l’AIM dans les dossiers de remboursement.[1], [2] Nous voyons que l’idée prend doucement au niveau des membres de l’AIM, et nous nous réjouissons particulièrement que nos collègues Allemands se saisissent du sujet du prix juste et des stratégies de maximisation de profit des firmes. Un exemple à suivre pour tous les membres !

[1] https://lejusteprixdesmedicaments.be/

[2] Quel serait l’impact d’un prix juste pour les médicaments en Belgique ? Analyse sur base de 7 médicaments, Anne Hendrickx, Bénédicte Vos, Jérôme Vrancken, Alain Bourda and Bart Demyttenaere, 2022, disponible ici : https://lejusteprixdesmedicaments.be/wp-content/uploads/etude-solidaris-fair-price-2022.pdf